Accompagner : « être compagnon », cheminer ensemble pour aider à traverser la douleur du deuil. Je n’emploie jamais le terme de thérapeute quand je suis en contact avec des endeuillés : le deuil ne nécessite pas une thérapie mais une écoute, une ouverture du cœur, une disponibilité, le savoir ne vient qu’après le savoir être.
Deuil et douleur ont la même étymologie, c’est dire si la souffrance du deuil est incontournable, violente, chaotique. Le deuil est un grand laminoir, il est un brassage total et bouleverse sans exception tous les aspects de la vie, et tous sont essentiels à écouter : matériel, émotionnel, physique et charnel, et spirituel.
L’accompagnement du deuil
Quand l’endeuillé est en confiance, dans l’échange individuel ou dans le groupe, il laisse émerger une gamme d’émotions contradictoires, et il peut recevoir en retour sa « normalité à penser cela », car une des craintes les plus exprimées par les endeuillés réside dans le « est ce que je suis normal ?».
Le suivi du travail de deuil est donc totalement laissé à l’appréciation de la personne en deuil : elle peut avoir envie de ne me rencontrer qu’une seule fois, ou de temps en temps, ou bien alors régulièrement sur une certaine durée.
Ces rencontres peuvent se dérouler dans la parole uniquement, ou , suivant l’impact du traumatisme, nécessiter un travail sur le stress post traumatique avec le Reiki, l’intégration par les mouvements oculaires, la Respiration Holotropique, les huiles essentielles ou tout autre outil thérapeutique permettant l’intégration du traumatisme, notamment après un deuil d’enfant ou un deuil par suicide.
L’accompagnement du deuil, une « merveille inconfortable »
L’accompagnement du deuil est pour moi une « merveille inconfortable », et il me faut être équilibriste entre ces deux pôles :
- Merveille de voir surgir l’espoir au fond du désespoir, merveille d’être autorisée à écouter des récits de vie où l’autre se dénude, épuré par l’étendue de sa douleur, merveille de cette confiance qui se noue entre lui et moi, une inconnue. Merveille de nous sentir humains ensemble mais,
- Inconfort car j’accepte d’être touchée, traversée par la violence de la douleur de l’autre, inconfort à l’accueillir autant que possible sans m’y bruler moi-même. Il me semble essentiel d’offrir aux endeuillés un espace : ma capacité à tout entendre de l’innommable, la mort d’un être aimé, dans tous les détails, sans m’effondrer. Offrir cette solidité permet à la personne en deuil d’oser dire, penser l’impensable. Cette certitude qu’ils doivent avoir de ma présence contenante leur donne la liberté de tout raconter : l’état du corps après sa chute de douze étages, l’accident de voiture où tous les enfants ont péri, la dégradation du corps après la dernière chimio…
Notre deuil est unique
Notre lien avec le défunt étant unique, notre relation était unique et notre deuil le sera aussi. Et comme il n’existe pas de relation parfaite, de lien sans ambivalence, les émotions de l’endeuillé s’apparentent à des montagnes russes, épuisantes et déroutantes.
Car ils n’auront pas que de la tristesse à traverser : mais aussi de la colère, de la culpabilité, des regrets, du soulagement, de la peur ( de l’avenir, d’un autre drame), de la perte de l’estime de soi, notamment lors de la mort d’un enfant…Certaines émotions sont plus faciles à exprimer que d’autres, et pour se protéger de cette ambivalence, les endeuillés traversent d’abord une phase d’idéalisation : nous n’entendons, au départ que des histoires de couples parfaits, sans nuages, et de relations familiales au beau fixe. Lors de l’accompagnement du deuil, il ne nous appartient pas de mettre en doute cette histoire qui nous est raconté, c’est un passage nécessaire pour appréhender, lentement, la culpabilité.
Le deuil et nos valeurs
Le deuil, par son immense brassage, oblige à la réflexion sur le sens de nos valeurs, de nos croyances, de nos choix de vie : il est laboureur de vie, si nous acceptons sa force transformatrice.
Cette évolution n’est pas forcément positive le rappelle Christophe Fauré ( Vivre le deuil au jour le jour), nous ne sortons pas du deuil forcément plus « sages » plus apaisés, la reconstruction peut se faire sur le mode amer… Et ce n’est pas à nous accompagnants, amis, famille ou thérapeutes, d’asséner des chemins d’ouverture spirituelle aux endeuillés, ni de juger celui ou celle qui reste dans l’amertume.
Si la douleur du deuil est incontournable, chaotique, il existe à travers elle, un chemin, difficile, mais possible, vers un élargissement de notre conscience : c’est une souffrance qui nous dénude tant qu’elle peut devenir une voie vers une autre vision de la vie.
Extrait de l’interview « Vivre son deuil » par Violaine Béraud-Sudreau
Émission « L’invité de France Bleu Mayenne » – 03/03/2017