Mon observation clinique, et mon expérience personnelle, m’ont montré que la prise en charge des deuils périnataux était trop souvent inadéquate pour les mères endeuillées. Le deuil périnatal est avant tout un deuil, et il en présente donc la majeure partie des composants, comme la culpabilité, la tristesse et la colère…Mais c’est aussi et surtout un deuil très spécifique : il porte en lui une histoire institutionnelle, collective et féminine, ainsi qu’une extrême dimension charnelle : la mort, dans la majorité des cas, se joue dans la chair même de la mère.
Ces deux aspects pèsent lourds dans le déroulé du deuil, et si le premier se dénoue avec un accompagnement dit « classique », le second ne peut s’atteindre, me semble-t-il, que par des approches qui mettent aussi en mouvement le corps et la mémoire émotionnelle engrammée dans celui-ci. De plus, le deuil périnatal est protéiforme : il peut concerner tout aussi bien un avortement, une fausse couche précoce, une mort in-utéro ou à la naissance, ainsi qu’une I.M.G. (Interruption Médicale de Grossesse).
Deuil périnatal et respiration holotropique
Ainsi, pour accompagner un deuil périnatal, deuil inscrit dans le corps, Il me semble particulièrement intéressant de proposer l’expérience de la Respiration Holotropique.
J’ai en effet assisté à des revécus intenses de la part de participantes lors de mes week-ends de Respiration Holotropique, avec ce qui m’a semblé des résolutions importantes de leurs douleurs. Comment se sentir père, mère d’un enfant qui n’a pas, ou si peu, vécu ? Comment faire avec ce vide à vivre, ce creux au ventre qui n’est pas remplacé par un enfant dans les bras ? En quoi la Respiration Holotropique permet de renouer le fil de l’histoire ?
Le deuil périnatal, un chemin dans l’ombre
le deuil périnatal est un deuil difficile et particulier, souvent nié par la famille et l’entourage proche, qui ne savent comment sortir de leur impuissance à dire et à faire. En conséquence le soutien habituellement octroyé pendant un deuil est là chichement donné, parfois même totalement absent.
Les couples, les femmes, sont donc contraints le plus souvent de suivre leur chemin de deuil « dans l’ombre ». Comment vont-ils supporter que leur douleur ne trouve pas de lieu pour être reconnue ? Et en cas de mort in utéro, ou d’annonce d’une pathologie létale à court terme, l’accouchement n’est pas une urgence et ce temps d’attente, nécessaire ou non, est profondément difficile à vivre. Autant de traces dans le corps féminin…
Reconnaissance institutionnelle
Longtemps (toujours ?) les bébés morts avant terme ou à terme faisaient partie de la catégorie effrayante des « mal-morts », un statut peu enviable … Grâce aux travaux pionniers de l’équipe du C.H.U de Lille, la reconnaissance institutionnelle de ces bébés « morts avant de n’être » s’est peu à peu améliorée depuis 1986. Cela implique qu’avant cette date, les femmes étaient reçues la majeure partie du temps dans une indifférence totale, voire un grand rejet. L’accouchement avait souvent lieu sous anesthésie ou derrière un champ opératoire. Le corps même de la mère accouchant était nié ….
Un deuil charnel, un deuil intriqué dans le corps
La nécessité d’un accompagnement du deuil périnatal qui passe par un travail psycho-corporel est à mon sens évidente : « Après un deuil périnatal, doute et crainte de ne jamais pouvoir mener à terme une grossesse s’installent et font émerger l’idée que son corps n’est pas « normal » et qu’il est peut être incapable de procréer comme toutes les autres » (Christophe Fauré, 2004, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, p 178 à 183). Il y a donc une grande perte narcissique à l’issue de ces deuils, ils ouvrent à la condamnation de soi, à la honte, à la culpabilité.
Le corps de la femme met aussi du temps à intégrer la nouvelle de la mort, il lui faut comprendre que toute son attente n’est pas récompensée par un « fruit » : les seins sont pleins, les saignements durent de quelques jours à quelques semaines, et les traces corporelles de la grossesse seront parfois indélébiles : vergetures, ventre marqué, seins transformés : tout cela ne fait que rendre vivant… le poids de l’absence. Or le corps a besoin de toucher, sentir, gouter ce bébé porté de longues semaines/mois en lui.
Intégrer physiquement en soi l’enfant mort comme un objet d’amour
C’est une des raisons pour laquelle est proposée le plus souvent aujourd’hui en maternité la possibilité de voir et revoir le bébé mort : cela permet d’intégrer physiquement en soi l’enfant comme un objet d’amour, et donc cela donne ultérieurement la possibilité de la séparation. Le porter, le toucher lui donne sa réalité physique à l’extérieur de soi, à l’extérieur de son corps de maternité.
Car quand vient le retour à la maison, s’impose cette terrible réalité : on n’aura rien à montrer à la famille et aux amis, rien de tangible à part une photo d’échographie, un bracelet d’identification, au mieux quelques photos du bébé mort. La seule véritable histoire s’est passée à l’abri des regards, dans le ventre de la mère.
Mon ventre est devenu une tombe
Et dans de nombreux cas (mort in utéro, IMG) la mère va véritablement devoir accoucher. Lors de l’annonce, la première réaction, quasi unanime est : « enlevez le moi vite », imaginant un acte presque magique qui ferait disparaître en même temps l’enfant et l’effroi de la nouvelle. Mais il n’y a pas d’urgence médicale, sauf en de rares cas, et s’il s’agit d’une IMG, du temps de réflexion et le temps de réunion des différents acteurs est nécessaire. N’oublions pas que l’IMG nécessite une injection létale au fœtus (sous forme de médicaments), avant de pouvoir déclencher ou attendre l’accouchement. Cela ne peut jamais être un acte neutre, banal, pour la mère, qui va sentir que les mouvements du bébé s’arrêtent.
La reprise de la sexualité peut être aussi compliquée, la femme supporte mal son corps, tout ce qui concerne sa féminité est teintée de mort, la majorité d’entre elles l’exprime par cette expression, « mon ventre était devenu une tombe » : comment peut il être à nouveau source de plaisir et de vie ? Leur corps les a trahies, dégoût et rejet de soi ne sont pas loin. Paradoxalement, perdre les kilos de la grossesse est difficile : avoir du mal à quitter ce corps, ce ventre arrondi pour contenir la présence du bébé mort. Les hommes eux mêmes peuvent avoir peur de s’en approcher.
Cas cliniques et Respiration Holotropique
Je souhaite aussi partager avec vous quelques une de mes expériences afin de mettre en mots des sensations et des expériences vécues par des femmes au plus profond de leur chair. Elles m’ont apporté leur confiance lorsque je leur ai proposé des séances de respiration holotropique et m’ont autorisée à relater leurs histoires. Leurs identités ont été modifiées.
« Je n’étais pas assez enceinte pour les intéresser »
Isabelle, 25 ans, mariée depuis 4 ans, me contacte huit mois après une fausse-couche précoce. C’était un bébé désiré même si la grossesse n’était pas attendue si tôt dans le couple. Elle perd son bébé à 17 semaines de grossesse (soit un peu plus de 3 mois). Aux urgences, on lui demande simplement de rentrer chez elle et de prendre, seule, à la maison, un médicament qui aidera à expulser ce fœtus. Ces fausses couches précoces devenues une routine pour la majeure partie du personnel médical ne nécessitent pas de prise en charge importante. La femme est renvoyée à elle-même…et à ses angoisses. Elle doit finalement retourner aux urgences et un curetage lui sera fait. Là encore, elle se retrouve seule…Puis, un mois après les évènements, son gynécologue va lui « passer un savon » car elle n’a pas arrêté de fumer dès l’annonce de sa grossesse….Enfin, s’ensuit aussi une torsion de l’ovaire avec opération à la clé, et des complications avec son conjoint car « je lui en voulais de ne pas souffrir autant que moi ».
Elle s’engage en grande confiance dans la séance de Respiration Holotropique (une heure en séance individuelle). Elle va vivre dans un premier temps d’intenses douleurs dans le ventre, qui cèdent peu à peu sous mes massages doux. Mais ce qui va prédominer, ce sont des sentiments de paix, de calme, de douceur. C’est principalement une profonde et grande relaxation qui va suivre la vision apaisante de sa mère décédée (morte à ses 15 ans dans un accident de voiture alors que sa sœur était au volant) portant son bébé mort. Elle ressent aussi l’enveloppe de son corps éthérique, libre de se joindre à ces présences. La vision de sa mère avec son bébé a amené chez elle un apaisement durable : son bébé est pris en soin par la grand-mère, elle a elle-même sa place dans ce trio. Cette image de complétude, de sérénité a effacé ses images traumatiques et les cauchemars ont disparu.
« Je les porte encore en moi «
Marie, 54 ans, a suivi un long et fructueux travail thérapeutique, et est très ouverte aux méthodes thérapeutiques transpersonnelles. Mais deux deuils périnataux restent encore une blessure à vif. Ils datent de plus de trente ans…Elle a depuis eu 3 enfants.
Elle va vivre une Respiration Holotropique très intense et m’enverra une lettre quelques jours après pour me la décrire : « J’ai la sensation d’enfanter, et en même temps de vouloir garder l’enfant en moi. Je l’aide à le faire descendre et à le mettre au monde. Beaucoup de pleurs, douleur de la perte, de la mort, et de la culpabilité. Je sens que je dois parler à mes 3 enfants de cette blessure non-cicatrisée de mes précédentes grossesses. La musique tribale fait réagir mon corps, comme s’il devait sortir d’une gangue, se libérer. Puis je sens la souffrance des femmes qui se reposent sur moi, que je porte, que j’aide. Je sens leurs douleurs qui sont aussi ma douleur. Pourquoi moi ? Je dois aussi porter cette croix, ce fardeau. Profonds sanglots archaïques. Je sens que je me maltraite, que je n’ai pas assez d’amour et de compassion pour moi. Flash de cet enfant que j’aimais, que j’ai sacrifié pour aller dans le sens familial. Ne pas avoir été capable de m’y opposer, de faire pour ce que je savais être mon bonheur. Pourquoi ? Pourquoi m’infliger tant de coups ? Puis sur la fin, sensation de renaissance, de me laver, de quitter le toxique. J’ai le flash de moi, devant plus m’appuyer, plus investir, mes trois enfant vivants ».
« Je l’aime pour deux »
Sophie, 57 ans, vient pour la troisième fois à nos weekends de Respiration Holotropique. Elle avait tout de suite évoqué la mort de son père, survenue alors qu’elle allait accoucher de son fils unique, en sentant qu’elle n’avait pu vivre son deuil, étant « happée » par l’arrivée de son bébé.
Ses Respirations Holotropiques (2 par weekends) lui ont permis d’élaborer, de vivre cette perte, d’abord avec douleur puis avec sérénité. Elle fait le lien avec son plaisir de travailler dans des maisons de retraite, de prendre soin des anciens, ce qu’elle n’avait pu faire avec son père. Lors du troisième weekend, elle va revivre, avec un grand étonnement, un épisode de sa vie de jeune femme qu’elle avait totalement occulté : « C’était pour moi un épiphénomène ». A l’âge de 27 ans, elle avait avorté, sans état d’âme et sans jamais remettre en question sa décision. Elle n’en a donc jamais parlé à personne, n’en sentant aucune nécessité. Lors de sa Respiration Holotropique, elle se voit monter dans un arbre pour rejoindre son fils vivant. Au pied de l’arbre le bébé avorté la regarde et lui reproche « et moi ? ». Au moment du partage collectif, elle évoque cette soudaine et nouvelle culpabilité. Le lendemain, lors de sa deuxième Respiration Holotropique, elle voit dans des nuages ces deux enfants ensemble, et ressent beaucoup de douceur et d’acceptation. Sophie comprendra mieux sa relation fusionnelle avec son fils, à qui elle répète sans cesse « Je t’aime pour deux ». Elle prend aussi la décision de lui parler de son avortement, et se sent plus prête à le voir partir vers sa vie d’homme.
La Respiration Holotropique pour enlever la charge émotionnelle
Récents ou anciens, les deuils périnataux s’inscrivent durablement dans l’histoire d’une femme, d’un couple, d’une famille. Ne laissant pas d’autres marques que celles que porte le corps de la mère, ils sont très, trop, vite occultés, niés. Ce sont des morts inaperçues, non inscrites dans le corps social. Et pourtant ces bébés, ces fœtus, ont eu un court passage sur cette terre, qu’il est nécessaire de prendre en compte, sous peine de voir ces deuils s’enkyster dans la chair de la mère et se développer en deuil compliqué ou pathologique.
La Respiration Holotropique est un outil thérapeutique puissant pour aider à la revivification des souvenirs traumatiques et à en lever la charge émotionnelle.
La sensation d’un contact avec leur bébé permet à ces mères de nouer, renouer, un lien avec lui, et de véritablement l’inscrire dans leur histoire : il quitte ainsi sa position de « fantôme errant ». Ce contact permet aussi la séparation nécessaire entre les deux corps, puisque l’enfant acquiert sa place particulière. La peur « d’oublier » le bébé (peur commune à toutes les endeuillées) s’estompe aussi, puisqu’elles prennent conscience que leur corps est porteur de toute leur histoire commune, et qu’elles peuvent y avoir accès par le biais de la Respiration Holotropique.