J’accompagne les endeuillés, après des deuils traumatiques, les accidents, le suicide ou les assassinats, avec différents outils thérapeutiques, comme le reiki et le travail du souffle ( Respiration Holotropique). Trois femmes, emplies de flashs de souvenirs traumatiques, ayant des difficultés diverses suite à leur deuil traumatique, sont venues me voir pour que nous cheminions ensemble vers leur mieux être.
CATHERINE
Catherine sonne à mon cabinet pour la première fois, une semaine après la défenestration de son amie : celle-ci vient de se jeter du douzième étage de leur immeuble.
Son visage ressemble à celui d’une vieille dame, tiré, hagard, elle semble trente ans plus âgée que sa date de naissance. L’immensité de sa souffrance s’y est inscrite et m’envahirait aussitôt si je n’y prenais garde.
Catherine était juste partie une demi heure pour aller faire une course, et à son retour découvre pompiers, police et le corps de son amie sur la chaussée, à la vue de tous et de la sienne. Il lui faudra insister pour qu’il soit recouvert d’un drap…
Nous allons nous voir pendant un an et demi environ, explorant encore et encore tout le spectre de ses émotions, de ses douleurs, de ses souvenirs, de ses désespoirs…Mais ce n’est pas le thème de cet article que de développer tout cet accompagnement par la parole, le symbolique et les rituels.
Deuil traumatique s’il en faut, Catherine est envahie par des images, réelles, du corps de son amie sur la chaussée, et imaginées, de la chute depuis le balcon de leur appartement.
Elle m’appelle un soir, tard, quelques semaines après notre premier rendez vous, sur un fonds sonore intense, après avoir pris des médicaments et/ou de l’alcool. Elle est en crise suicidaire, chez elle, proche de ce balcon et prête à sauter elle aussi. Il ne s’agit pas tant de vouloir retrouver la disparue dans la mort que de vouloir éprouver dans son corps le vécu même du suicide de sa compagne : qu’a-t-elle pu ressentir quand elle a enjambé le garde-corps, pris son élan et sauté dans le vide ? Qu’a-t-elle pensé au dernier moment ? Ya –t-il eu le temps, la place pour elle, pour des regrets ? A-t-elle eu mal ou s’était elle droguée pour ne pas sentir ? Malgré ma connaissance de ces états suicidaires, il s’agit toujours d’un moment d’une intense implication pour moi, d’une concentration extrême, tout mon esprit et mon corps tendus vers le mot le plus juste possible, l’impression d’être un funambule moi aussi sur un fil tendu entre deux précipices. La technique, indispensable, n’explique jamais totalement pourquoi le pire s’évite…Peu à peu, j’entends Catherine respirer plus calmement, baisser la musique pour mieux m’écouter, et promettre de venir au prochain rendez vous.
Soulagement. Et satisfaction du « travail bien fait ». Mais je sais qu’il me faut désormais m’occuper plus précisément, et rapidement, de son stress post traumatique.
Lorsqu’elle revient me voir, elle m’explique qu’après notre appel, elle est retournée sur le balcon et s’apprêtait à sauter lorsque le chien de sa compagne s’est mis à hurler à la mort…Il avait déjà assisté au suicide de F., elle n’a pas voulu lui infliger cela à nouveau…Humilité…Mes mots et mon écoute impliquée avaient ils eu la moindre incidence sur sa crise ?
Je décide de lui proposer une réduction de son stress post traumatique. Je décide de ne pas employer « l’intégration par les mouvements oculaires » ou EMDR dans un premier temps, préférant une méthode qui me semble plus douce : le reiki mental. En effet, la douceur disparaît de la vie des endeuillés, et la violence, qu’inflige le suicide sur les proches, s’insinue dans de multiples aspects de leur vie . Je trouve important alors d’utiliser des méthodes d’accompagnement qui permet un temps de retrouvailles avec soi-même dans le calme et l’apaisement.
Catherine m’explique qu’elle voudrait retrouver des « images de F. d’avant le suicide », celles-ci semblent s’être totalement absentées de sa mémoire, e t c’est celles des derniers moments qui tournent en boucle, jours et nuits, dans sa tête, à « rendre folle ».
Nous partons donc de ce désir, et la séance de reiki l’emmène dans une relaxation profonde, avec pour seule intention « je retrouve des images de F. heureuses ». Je suis en même temps en état de méditation approfondi, et laisse mes propres images internes vivre.
Quel ne fut pas notre étonnement commun en découvrant qu’elles étaient semblables : elles deux, en voyage, sur une plage le soir, et F. qui lâche la main de Catherine pour s’éloigner dans la mer et ne pas en revenir. Le tout dans un grand climat de douceur et d’amour. Ce fut un moment magique, pour elle, pour nous deux. Cela a scellé entre nous la confiance.
Ce fut son unique séance de reiki, .
Cette séance a constitué le tournant majeur de cet accompagnement : une acceptation profonde du « départ » de F., et surtout la fin de ces images traumatiques et envahissantes. Cela a ouvert la voie à un intense travail de deuil ,douloureux, inconfortable, épuisant parfois pour elle et moi, mais Catherine avait choisi la vie, et ce choix n’a plus été entravé par son stress post traumatique. Nous finissons quelques mois plus tard cet accompagnement, Catherine pouvant continuer seule son chemin de deuil.
Mais elle reprend contact un an après pour me donner de ses nouvelles et c’est un plaisir de découvrir à ma porte une jeune femme au visage plein, absent de rides, et rayonnant.
Nous reparlons de cette séance de reiki, dont elle ne garde d’autre souvenir que « ce fut un moment important je crois ? » Humilité ! Je pensais qu’elle en avait gardé, comme moi, une mémoire précise…La seule chose que ne permet pas, à priori, l’accompagnement par la parole est de « nettoyer » la mémoire du corps, et je m’inquiétais sur le long terme pour Catherine : le vécu traumatique laisse des traces dans le corps, son immunité, sa capacité à encaisser d’autres stress, mêmes moins graves. Je lui proposais donc une séance de Respiration Holotropique, thérapie par le souffle, pour aller « y voir » .Elle vit donc une séance de Respiration Holotropique individuelle d’une heure. Et j’accompagne un vécu qui semble d’une subtilité extrême. Elle ne bouge pas pendant une heure et tout en moi me dit « n’interviens pas ». J’ose à peine bouger. Catherine en sort bouleversée : elle s’est sentie enveloppée de douceur, d’amour et de chaleur pendant toute la séance. Elle ne met pas de mots dessus mais repart « nourrie au plus profond ».
ISABELLE
Isabelle vient me voir quelques semaines après le suicide de sa fille qui s’est défenestrée après avoir pris une dose importante de médicaments. Elle a vécu le suicide de sa fille « en direct » : celle-ci l’a appelé après avoir pris ces médicaments. Comprenant l’urgence Isabelle et son compagnon se sont précipités en voiture, appelés les voisins et la famille proche parce qu’eux habitent dans le nord de la ville et sa fille dans l’ouest. Isabelle garde le contact téléphonique avec S. jusqu’à ce que le silence se fasse….
A l’arrivée, en bas de l’immeuble, les pompiers…
Nous travaillons ensemble quelques mois, notamment autour de la symbolique de la crémation et de la dispersion des cendres, un thème trop peu accompagné en France car ces nouveaux rituels funéraires n’ont pas encore gagné leur sens pour nous occidentaux.
Isabelle est plus envahie de questions que d’images traumatiques, mais celles-ci empêchent son sommeil, sa capacité à travailler, à prendre soin d’elle, et elles peuvent , à mon sens, devenir aussi tyranniques que des images récurrentes et envahissantes. De façon assez classique, toutes peuvent se relier à la sensation de la culpabilité.
Quelques séances de reiki mental permettront d’apaiser ce vécu culpabilisant et surtout de voir revenir un sommeil de qualité, entraînant à sa suite une amélioration de l’alimentation, de la concentration, et donc une reprise régulière du travail. Et l’entrée dans la traversée, courageuse et exigeante, du deuil. Pour clôturer cet accompagnement d’une année environ, je lui propose une séance de travail du souffle, la Respiration Holotropique, pour les mêmes raisons que celles de Catherine : « nettoyer les mémoires corporelles du trauma ». Je m’attends aussi à un revécu cathartique, à un débordement émotionnel intense…Et j’assiste pendant une heure à une danse magnifique, joyeuse, libératrice.
Isabelle me dira « avoir dansé avec sa fille d’avant la maladie psychique ». S. était en effet étiquetée schizophrène depuis quelques années, et les allers retours à l’hôpital psychiatriques, avaient altéré le lien et les souvenirs d’avant la maladie.
MORGANE
Morgane est une jeune femme de 30 ans qui vient de voir mourir sa mère d’un cancer du poumon qui s’est généralisé. Elle l’a accompagnée seule lors de cette dernière année, faite de passages de plus en plus réguliers à l’hôpital et de nouvelles de plus en plus inquiétantes. La particularité est que sa mère a refusé une dernière chimiothérapie et a voulu finir sa vie et mourir à domicile.
Elles n’ont plus eu à ce moment là aucun accompagnement et n’étaient pas au courant que des soins palliatifs à domicile existaient…Morgane s’est alors occupée de tout, des soins intimes et des soins médicaux. Elle a vu souffrir sa mère, a assisté à la transformation physique et psychique de celle-ci, ainsi qu’à des scènes difficiles et douloureuses
Elle aussi est envahie des images de ces derniers mois, semaines, journées…dort mal, fait des cauchemars…Les séances de reiki proposées n’apporteront qu’une amélioration moyenne par rapport à ces images et Morgane n’arrive que lentement à retrouver des images internes de sa mère bien portante.
Nous mettons aussi en place plusieurs séances de Respiration Holotropique, tant en individuel qu’en groupe, dans lesquels elle plonge dans des pleurs saccadés, plutôt des spasmes que des pleurs libérateurs. Elle n’apprécie guère le travail du souffle en groupe, n’ayant pas envie d’entendre la souffrance des autres participants, » en plus de la sienne ».
L’accompagnement s’est poursuivi quelques mois, Morgane continue son chemin de deuil, et apparemment tire plus de bénéfices de ce suivi par la parole que par les techniques psycho-corporelles. Le « timing » que je lui ai proposé était il le mieux adapté ?
Quelques remarques en conclusion :
Tout d’abord, cela m’a conforté dans la pensée qu’un accompagnement précis par la parole ( soutenu par du travail symbolique et du rituel) est primordial pour les endeuillés : ils ont d’abord besoin que soit reçu le récit, dans tous ses détails, de leur deuil, de leur relation au défunt et à eux-mêmes. Cela seul déjà apaise en partie le trauma.
L’aide du reiki m’a semblé plus approprié pour adoucir les images traumatiques envahissantes que l’EMDR, qui passe par une revivification intense, bien qu’éphémère, du trauma, dans l’objectif de le voir disparaître. Dans les deux premiers cas de Catherine et Isabelle, une ou quelques séances ont suffi pour voir disparaître tous les symptômes du PTSD.
La Respiration Holotropique ( travail du souffle) m’a apporté des surprises importantes et renouvelé mon intérêt pour cet outil thérapeutique dans l’accompagnement des deuils : il peut aussi permettre de vivre, de constater, que « ce deuil qui nous travaille » a suivi son cours et que les décharges émotionnelles ne sont pas un passage obligé, même dans le cas de deuils traumatiques…J’ai senti qu’il clôturait véritablement notre accompagnement et que chacune de nous trois en retirait un rassurement important : moi de sentir pleinement qu’elles étaient aptes à repartir dans leur chemin de vie avec des cicatrices du cœur assainies, et elles avec la sensation d’avoir vécu un « cadeau » d’une grande profondeur et nourricier.
Par contre, Morgane a un vécu traumatique sur la durée, des images qui se sont accumulées au fur et à mesure de l’avancée du cancer de sa mère. Le reiki et la Respiration Holotropique n’ont pas apporté de soulagements importants ou d’apaisement notablement plus évidents qu’avec le suivi par la parole.
Les outils thérapeutiques, aussi pertinents soient-ils, sont et resteront des outils, et non une panacée universelle applicable pour tous nos patients. A nous de les employer au meilleur moment possible, et toujours dans leur intérêt premier.
Article paru dans Synodies, août 2014 : http://www.grett.fr/synodies.htm